mardi 9 mai 2023

Jean-Claude Roujon, un esthète passionné d'art

Début avril 2023, Olivier Devergne nous a fait part du décès de Jean-Claude Roujon :

"Chers amis,

J’ai le regret de relayer une annonce parue dans le Figaro nous apprenant le décès de notre camarade, Jean-Claude Roujon, le 22 mars 2023.
Célibataire, il était un amateur d’art et sa carrière résumée dans le trombinoscope de l’an 2000 le montre bien.
Jean-Claude Roujon (1er plan) et Pierre Estrade (2016)
Je crois me souvenir d’un bref échange au cours duquel il me semble qu’il m’avait proposé la visite de son appartement, qui devait ressembler à un musée.
 
Amitiés"
Olivier Devergne
PS : Merci à ceux qui l’auront connu de me faire parvenir un témoignage à publier sur notre blog.


Le 3 mai, Pierre Estrade, un camarade de la promo 67, ami très proche de Jean-Claude, lui a ainsi répondu :

"Bonjour à nouveau,
Voici le texte pour Jean-Claude. Le temps d’une lecture, il va revivre pour votre promotion.
Bien à toi" 
 
Pierre a lu ce texte aux obsèques de Jean-Claude en la chapelle Sainte Bernadette, rue d'Auteuil à Paris.

"Jean-Claude, pour ton amour du Grand Siècle, tu aurais mérité une oraison funèbre de Bossuet.
En ce début de XXI
ème  siècle, ce sera un simple et sincère hommage de tes amis.

Hommage à l’homme Jean-Claude
Hommage à l’Ami,
Hommage à l’Esthète,
Hommage au Chrétien.

A ta naissance, les fées ne semblaient pas s’être penchées sur ton berceau. Ton père - que tu allais perdre très tôt - et ta mère vivaient très modestement dans la loge du 4, rue Agar, où tu fus fils unique.
Mais l’école républicaine du mérite et ton travail t’ont donnés et culture et diplômes. Le baccalauréat à Jean-Baptiste Say et une grande école ensuite : HEC en l’occurrence. Tu fus de la dernière promotion à Paris en 1966, alors que je fus moi-même de la première sur le campus de Jouy-en-Josas en 1967. Nous ne nous y croisâmes donc pas et ce ne fut que partie remise.
A la même époque, les fées se ravisèrent et tu héritas du bel immeuble du 4 rue Agar. Toutes les portes s’ouvraient !

Tu commenças ta vie professionnelle par la banque au Crédit Lyonnais où tu te passionnas pour la bourse, mais où, surtout, tu créas un département d’investissement en œuvres d’art avant de voler de tes propres ailes.

Tu as choisi comme adresse de courriel « arsprimae », ars primae. Tout y fut subordonné. Tu ne fondas pas de famille, même si tu fus, à un moment, quasiment fiancé à Béatrice. Ce fut le rival, l’amour de l’art qui l’emporta.
Il n’y eut pas d’enfants de ton sang, mais les filleuls de ton cœur.

Et les amis restèrent. Ils ont été nombreux et beaucoup furent fidèles. Certains sont déjà partis. Aujourd’hui il en reste quelques uns ici qui gardent aussi le souvenir de Christian, de Jacques-André, de Sylvain...
Trois fois par an – mais pas seulement – tu nous réunissais pour de rutilants dîners aux chandelles, dans de la vaisselle de porcelaine, des verres de cristal avec une carte d’amitié bien choisie.
Ce n’était pas les copains d’abord – l’art était en tête – mais presque. À Noël, nous écoutions Dranem ou Sarah Bernardt sur le vieux gramophone à pavillon et à manivelle. À l’automne, c’était le lièvre encore farci par les plombs du chasseur, mijoté par ta maman Suzanne, et au printemps, une débauche de fleurs. Et les bonnes bouteilles remontaient de ta cave.
Tout cela dans un décor de musée qui va bientôt, hélas, disparaître avec toi. C’est la double peine.

Ce qui nous amène à l’esthète, presque à un personnage de l’écrivain symboliste Jean Lorrain. Mais pas au point du des Esseintes de Huysmans.
Découvrant la Côte d’Azur avec ton ami Christian, tu fus ébloui par Saint-Jean-Cap-Ferrat et tu décidas qu’il n’y avait pas de plus bel endroit au monde. Ce qui est recevable. Pourquoi alors passer ses vacances ailleurs ? 
Depuis une soixantaine d’années sans exception, tu partais le 1er samedi de juillet avec ta maman pour une villégiature de 3 semaines à l’hôtel Brise Marine et son annexe la plage de la Paloma. Cette année, malgré ta maladie, tu n’y avais pas renoncé et avais retenu ta chambre en versant des arrhes. Ce sera bien triste de devoir annuler cette réservation.
Saint-Jean-Cap-Ferrat aura été l’exception dans ta vision esthétique du monde. Tu n’étais pas sensible au spectacle de la nature et pourtant tu célébrais le plus bel endroit de la terre. Peut-être parce qu’il ressemble à un tableau classique !

Tu avais aimé la littérature, mais tu avais fait le plein à l’école. Tu es devenu plus bibliophile que lecteur et tu retrouvais les Belles Lettres dans ta passion pour le théâtre. Que de pièces nous vîmes grâce à tes diligences ! Lors d’une fête du livre, je demandais à Jean Piat de te dédicacer son livre de souvenirs par un « à Jean Claude, 50 ans de théâtre ». Surpris, il crut qu’il s’agissait d’un acteur qu’il ne connaissait pas et je lui précisai : dans la salle ! Il avait apprécié cette communion, car sans spectateurs, pas d’acteurs.
Tu te délectais aussi de musique et plus particulièrement d’art lyrique. Et là ! nous pensons tous en même temps : Offenbach. Pas seulement, mais principalement ; et de ce fait nous sommes tous devenus des connaisseurs avertis de la Belle Hélène et de la Périchole.

Avec les Beaux Arts, tu deviendras un professionnel. Il y eut d’abord « A l’enseigne des Arts »  puis « Tableaux et Patrimoine » qui eurent leur siège Place Vendôme, modestement dans les étages sur cour, puis somptueusement dans la voisine rue Gomboust, avant de se rapatrier rue Agar. La sculpture ne t’intéressait pas ; tout ton élan allait à la peinture. Ton appartement était devenu une pinacothèque où dominaient les écoles des 17ème - 18ème - 19ème siècles classiques. Tu ne dédaignais pas les Impressionnistes et tout ce qui a suivi, mais ton enthousiasme s’arrêtait à Corot. Corot qui aurait pu peindre Saint-Jean ! Tu n’étais cependant pas fermé à l’art moderne et tu appréciais l’expressionnisme d’un Soulages ou d’un Basquiat. J’ai même réussi à t’intéresser à l’avant-garde féminine russe au point que tu fasses commerce avec la cubiste Lioubov Popova.  

Bien entendu, tu étais sensible à l’architecture. Plus aux palais qu’aux châteaux, à cause des décorations intérieures. Chaque année, c’était le pèlerinage de Fontainebleau où tu passais 2 à 3 jours.
Et les églises et cathédrales - romanes, gothiques ou classiques - ferment la liste. Tu les admirais pour leur beauté et pour la ferveur qu’elles t’inspiraient.

C’était la ferveur du chrétien fidèle que tu as été tout au long de ta vie qui s’achève en ce lieu. Tous les dimanches en la chapelle des Orphelins Apprentis d’Auteuil, tu assistais à l’office auquel tu participais activement. Te voici maintenant au seuil de la vie éternelle où tu vas rejoindre ceux que tu as aimés.

Adieu Jean-Claude."

Pierre Estrade 
 
 
Le 4 mai, Olivier Devergne a reçu un témoignage de notre camarade Jacques Monbeig :

"Cher Olivier,
Je réponds un peu tardivement à l’annonce du décès de Jean-Claude Roujon.
 
J’ai d’excellents souvenirs de notre camarade.
 
Nous étions voisins à Paris et avons pratiqué le covoiturage pendant quelques mois en deuxième année. Jean-Claude était très érudit et aimait beaucoup l’opéra (*) ; il m’a fait profiter de quelques-uns de ses 78 tours.
 
Le covoiturage a cessé lorsque j’ai rencontré Dominique. Menant alors une vie moins centrée sur les amphis du Boulevard Malesherbes, je me suis retrouvé avec des cahiers verts qui contenaient des trous béants. Jean-Claude m’a prêté ses propres cahiers avec un sourire indulgent mais narquois, et Dominique a recopié les nombreux chaînons manquants. Heureusement que les examinateurs n’ont pas remarqué les écritures différentes !
Les cahiers à trous étant nombreux, Alain Boulengier a prêté le reste, avant de devenir le parrain de notre fille.
J’ai déménagé après mon mariage et Jean-Claude et moi nous sommes perdus de vue, ce que je regrette car il était de très bonne compagnie."
 
Jacques Monbeig

(*)
Note du Webmaster : Jacques Monbeig est un passionné d’opéra


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