lundi 2 juillet 2018

Yvan DEVLAY in memoriam


Olivier Devergne nous a fait part du décès de notre camarade Ivan Devlay le 20 avril dernier, dont Kilian Fritsch l'avait informé.

André-Luc Boussagol nous fait part de son souvenir.


"Jean-Pierre Richard m’a demandé de dire un mot d’Yvan Devlay, qui est mort cette année en avril.

Yvan Devlay n’avait gardé que peu d’amis d’un autre temps, se faisant d’ailleurs une élégance de ne jamais appeler qui que ce fut, et encore moins de solliciter quoi que ce soit. Personne ne se doutait qu’il attendait avec plaisir qu’on vienne le voir dans son stand des Puces de Saint-Ouen, où il trônait sur sa chaise en marchand oriental et savant, faisant peu mais suffisamment. Il y tenait là comme au bazar table ouverte tous les jours de marché ; aussi voisins, amis et commensaux, vinrent-ils nombreux à son enterrement. Tous avaient entrevu sa générosité pudique qu’il déjouait sous une apparence bourrue, un vêtement incertain et des remarques lapidaires dont le goût pouvait parfois faire douter de l’avoir bien entendu.

Quand je l’ai rencontré pour la première fois ou presque, dans l’appartement qu’il habitait à Paris avec sa sœur Maya, c’est elle qui m’accueillit ronde et joviale, pendant qu’il sortait de sous son lit des cartons disparates et tachés.
Avec précaution il en fit surgir une dizaine d’astrolabes, que, me dit-il, il allait vendre à Londres chez Sotheby’s. J’appris donc à cette occasion que son père était antiquaire au Caire, ce qui ne s’invente pas ! Et qu’il l’avait chargé de monnayer cette fortune d’objets magnifiques et d’un autre temps, comme un vrai homme d’affaire averti, allant à Londres quand il le fallait…
La distance de nos conditions d’étudiant prenait soudain de l’ampleur à mon détriment, tandis que provenaient de la cuisine des fumets qui ne ressemblaient en rien à mes odeurs familières, et que Maya nous interpellait pour déjeuner ou dîner. Pour un provincial comme moi, le baklava, les astrolabes et Sotheby’s, c’était beaucoup à avaler d’un coup, mais les images des pyramides, de Rastapopoulos, de Bonaparte, du sphinx et des pharaons que j’avais vues dans les livres, revinrent me rassurer et me convaincre que moi aussi je n’ignorais pas tout à fait cet Orient-là ; ce qui facilita à l’instant ma digestion !

Pour en savoir plus, je ferai plus tard avec lui plusieurs voyages en Egypte, où je le verrai revenir chez lui à Alexandrie, au Caire, chez des cousins de Rastapopoulos, ou ailleurs… dans une pâtisserie. Je le regarderai entre-temps distribuer partout où nous allions des liasses de billets sales et puants à tout un petit monde surpris qu’il soit égyptien sans lui ressembler. Et les mains dans les poches dans mon complet blanc en coton d’Egypte fait sans délais par son tailleur, je n’aurai qu’à attendre la fin du voyage pour savoir combien je lui devais.

Avant les astrolabes, nous nous étions abordés facilement à l’école. Il avait cette allure bonhomme et avenante, il aimait parler, raconter des histoires, dont la sienne et j’étais prêt à l’écouter.
Né comme on l’a vu au Caire, il était grec comme son nom ne l’indique pas. Il était aussi chrétien orthodoxe de rite chaldéen, si je me souviens bien ; c’est à dire une espèce de phénomène qui me conduisit illico à acheter un « Dictionnaire de l’Orient Chrétien ». Je m’y perdis rapidement entre nestoriens, monophysites, coptes, etc…, tout en découvrant l’ancienneté de ces églises et de ces liturgies, dont on m’avait dit qu’elles étaient hérétiques… Drôle d’histoire, dont il dira peu !
Perplexe, j’observais à ce moment-là ce type qui me ressemblait sans être tout à fait comme moi, qui de plus parlait l’arabe et l’anglais comme le français, mais pas le grec, avant de conclure bien plus tard qu’Yvan Devlay était en fait un spécimen d’oriental déplacé.

Il avait la connivence des exilés qui attirent à eux leurs semblables qui se reconnaissent à une seule intonation de voix, et qui savent entrer dans un entre-soi familier. Tout ce monde de marchands ou de touristes de passage, lui convenait donc à défaut de l’Egypte cosmopolite qu’il avait connue et qui n’existe plus. Chacun pouvait le retenir des heures en buvant son café, alors qu’il était un solitaire comme cela arrive souvent chez ceux qui parlent beaucoup.

Cultivé, intelligent et discret de ses savoirs, agnostique d’un peu tout par paresse comme souvent quand l’affaire est compliquée, je le vis de loin peu à peu dominer l’art de ne rien faire, être à ce plaisir sans excès, abusant seulement parfois de cette élégance rare que donne le manque d’ambition.
Elle aura toute sa place dans son originalité singulière, que ses vrais amis ont eu le grand plaisir de partager.

André-Luc Boussagol."

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