lundi 1 février 2021

Serge Gauthron, un personnage complexe, fascinant et inspirant.

Serge Gauthron s’est éteint le 20 décembre 2020, à Marseille.

Jean-Pierre Richard, son ami de toujours, témoigne :

Doué d’un humour féroce, décapant et ravageur, d’un enthousiasme et d’une énergie qui l’affranchissaient de tous ses excès dont il était parfaitement conscient, Serge était hors normes, baroque et légendaire, provocateur, sans nuances, paradoxal et extrême, et bien sûr parfois difficile, mais que de talents !

Le personnage de d’Artagnan, le héros de ses romans auquel il se référait dans le trombinoscope de l’an 2000, lui correspondait bien.

Il osait tout, ne doutait de rien, ne craignait rien, bien avant que l’Ecole n’affiche la devise «Apprendre à oser ».
 
Il fallait de l’audace, voire être suicidaire, pour répondre à l’oral de son premier concours d’admission à HEC au professeur d’italien, surpris de son incapacité à s’exprimer dans cette langue, qui l’interrogeait : « Quel est le nom de votre professeur ? - J’ai  appris avec la méthode Assimil » ; l’année suivante, il choisit l’allemand comme seconde langue !

Dur et affectueux, charmeur et sentimental, on lui pardonnait toutes ses outrances.

 
Serge était curieux de tout et adorait voyager dans le monde entier, toujours prêt à de nouvelles découvertes et rencontres y compris les plus inattendues pour lui.

Il aimait se mettre dans des situations physiques critiques et savait bien les gérer - atterrissage en avion dans un champ de blés trop hauts à la tombée de la nuit, atterrissage
sur une base militaire, heureusement en France -  après des préparations insuffisantes…
Incidents ou accidents nautiques divers, navigations hasardeuses avec son catamaran ;
vitesses excessives sur des circuits automobiles et sur route, avec des voitures parfois « improbables ».
J’avais renoncé à monter avec lui sur sa puissante moto sur les routes de Haute Provence, et sur sa petite moto (Honda Dax) sur les trottoirs des sens interdits de Marseille

Ami fidèle, chaleureux, toujours disponible présent et solidaire, avec un goût de la fête sans fin, il avait le talent de créer des climats et des moments magiques, et excellait dans l’improvisation.

Après un stage initiatique chez IBM et des débuts professionnels chez NCR où il expérimenta le syndicalisme ( ! ), il devint un serial entrepreneur visionnaire et intuitif, combatif, fonceur, tenace.
Mais aussi parfois naïf, paresseux et négligent dans l’exécution et le contrôle.

La fin de sa vie a été marquée par un long processus d’enfermement.
On ne peut évoquer la mémoire de Serge sans penser à tous ses problèmes de santé insurmontables de ces dix dernières années. Il en était parfaitement lucide et désespéré.
Je le savais depuis très longtemps et ai assisté d’année en année à son combat acharné mais inutile, dont il ne me cachait rien, espérant toujours une solution et un miracle.
Il gardait encore des réflexes mécaniques qui donnaient le change de plus en plus rarement.
Des réunions de promo comme le voyage sur le Danube, le séjour à Nice, notre jubilé chez Louis Omer-Decugis furent des épisodes de plus en plus tristes.
Lors du dernier voyage au Portugal, tous nos copains de promo furent admirables de gentillesse avec lui, si paumé, pathétique et parfois agressif, pour l’accompagner à Lisbonne d’abord (merci Anne et François d’Hauteville), le faire soigner (Ghislaine de la Fournière), le distraire, et le surveiller.

Je pense aussi à Jean-Pierre Gaudfrin qui fut souvent sa providence ces dernières années à Tahiti.

Tous ses stratagèmes pour lutter - trombinoscopes, fichiers, exercices de mémoires, bio aliments, pratiques mentales - furent sans effets et, peu à peu, il s’isolait et perdait tous ses contrôles et les portes d’accès à notre monde.

Depuis plus de deux ans, il était complètement perdu pour sa famille et ses proches, et sa vie était devenue, j’imagine, quasi végétative.
Je l’avais accompagné à l’hôpital chez un grand spécialiste en octobre 2018, il n’y avait plus aucun espoir, ce que nous avions compris depuis longtemps. Il ne se souvenait plus de rien, avait perdu son vocabulaire, ne reconnaissait ni les endroits ni personne.
Parfois encore, il nous surprenait et était capable d’exploits insensés compte tenu de sa santé, comme circuler à moto entre Paris et la banlieue éloignée, sans trop se perdre.
Lui qui avait navigué parfois dans des conditions extrêmes et quasi solitaires, en Méditerranée, en plusieurs trajets jusqu’aux Antilles, qui avait passé le canal de Panama et traversé le Pacifique pour rallier Tahiti où il jeta l’ancre de son catamaran pour la dernière fois.

En 2016, pour notre cinquantième anniversaire, se sentant incapable d’écrire un texte pour « Paroles » notre livre souvenirs des HEC66, il me demanda de le faire à sa place, ce que je fis bien volontiers avec l’accord du « Comité Central », soucieux de la vérité et de m’exprimer à sa manière dans un style qui pouvait être le sien.
Bien sûr, je lui soumis ce texte ainsi qu’à son fils aîné Thierry que je voyais souvent.
Serge contesta un peu la liste des voyages communs avec la promotion, ce fut le plus simple à négocier.
En revanche, il trouva que je dressais de lui un portrait de dilettante alors que sa scolarité avait été d’une rigueur exemplaire ( ! ) et, là, la discussion fut plus laborieuse.

Jean-Pierre Richard


Et Olivier Devergne nous dit :
 
Dès la sortie de l'école, Serge a été présent aux manifestations que nous organisions et n'en a manqué aucune ou presque.
Nous l'avons souvent reçu à la maison, et l'une des premières fois, nous habitions Versailles, il est venu déjeuner avec sa première épouse et leurs enfants et…, à 1 heure du matin, je les ai poussés vers la sortie !!!
 
Lorsque sa chevelure était mal maitrisée, il avait un visage de BD et un sourire propre à désarmer toute agressivité
 
Olivier Devergne
 
 
Nicole, la première épouse de Serge, nous livre anecdotes et réflexions :

J’ai fait la connaissance de Serge au Lycée Janson de Sailly ; nous étions, lui en préparation HEC, moi en Math-sup - la même math-sup que celle qu’il avait suivie l’année précédente.

Nous avons donc eu, entre autres, le même professeur de dessin industriel, à un an d’intervalle.
Tout de suite, j’ai eu horreur de ce cours : les écrous ne m’intéressaient pas des masses et surtout dessiner des pièces industrielles est un travail qui demande des qualités de précision, de concentration et de minutie…, pas tout à fait ma tasse de thé. Serge, ayant très vite vu que ces qualités n’étaient pas innées chez moi, a tenté, en vain, de me faire progresser.
Comme ledit professeur donnait exactement les mêmes travaux chaque année, Serge a donc trouvé plus simple de reprendre les dessins de l'année précédente, de faire soigneusement disparaître la note qu’avait donnée le prof et de remplacer son propre nom par le mien.
Un travail de faussaire parfait auquel le prof n’a vu que du feu !
Serge excellait dans cette matière ; il n’avait pas de note en dessous de 14 sur 20.
Ses dessins, « re-présentés » à la notation sous mon nom, sont revenus systématiquement avec une note nettement inférieure ; quand il avait eu 14, j’obtenais 12…
C’est ainsi que nous avons pu, tous 2, constater les préjugés de certains profs de l’époque dans des matières traditionnellement considérées comme « masculines ».

Serge et moi nous sommes mariés en 1966 et avons eu 3 merveilleux fils, Thierry, Thomas et Mathieu. Nous avons divorcé en 1988 après plus de vingt ans de vie commune.

Pendant toutes ces années et même au-delà, nous avons partagé la passion de l’entreprise et je l’ai accompagné dans presque tous ses projets. Et dans ses dépôts de bilan aussi !!!
Et je le faisais d’autant plus volontiers, qu’ayant déménagé en 1977 à Aix en Provence, j’avais quitté mon travail parisien et repris seulement la gérance d’une de nos SSII pour avoir du temps pour nos 3 jeunes enfants (6, 5 ans et 4 mois).

J’admirais sa très vive intelligence, son imagination visionnaire, sa volonté de réussir dans tous ses projets et sa ténacité devant les épreuves contraires.
Mais, étant moi-même très éprise de liberté, j’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter le besoin qu’il avait de diriger ma vie ; il utilisait, dans ce but, plus souvent la critique culpabilisante que la motivation encourageante. Ce besoin n’a fait que croître avec l’abandon en 1977 de mon job parisien qui allait de pair avec celui de mon indépendance financière.
Déjà très tôt, Serge m’avait écrit en 1964 (je viens de retrouver la lettre dans ses papiers) : « Tu sais cependant qu'il m'est encore plus insupportable de ne pas te faire ces reproches que pour toi de les satisfaire. »
Ce lien « Adulte sévère-Enfant rebelle » ne s’est rompu qu’après notre divorce.

Et je suis restée simplement son expert-comptable et sa conseillère, ce qui a été finalement plus équilibrant à vivre pour moi.
Et celle qui a veillé sur lui, la dernière année, lorsque la maladie a détruit, petit à petit, la mémoire de sa vie passée, sa très vive intelligence, son imagination visionnaire, sa volonté de réussir dans ses projets et sa ténacité devant les épreuves contraires.


Ses fils, Thomas, Mathieu et Thierry,  nous racontent leur père

Thomas :

Je vais essayer de vous donner un aperçu des multiples vies de mon père sans complaisance ni exagération.
 
Il est né à Madagascar le 25 avril 1943.

Il est l’unique enfant de Robert Gauthron, jurassien de 41 ans, né à Bourg Saint Maurice dans la Tarentaise et de Tatiania, 21 ans, née en à Bouyouk-Dèré, un quartier d'Istanbul en Turquie, dans un camp de réfugiés russes organisé par le CICR.

Le père de Tatiania, Nicolas, de Kiev en Ukraine, était un héros de guerre, capitaine dans l'armée blanche, et sa mère Janine, Polonaise, était danseuse de ballets à Odessa, ville où ils se sont rencontrés.

La révolution d’octobre 1917 a jeté sur les routes des centaines de milliers de Russes qui ont fui la violence des bolcheviques et les horreurs de la guerre civile. Sa famille émigre en France et débarque à Marseille en 1924 dans un camp de réfugiés. Elle a 3 ans.
La famille vivra de ville en ville, là où le père trouvera des travaux généralement manuels.
Tatiania sera une bonne élève, mais souffrira de ne pas se sentir acceptée comme une vraie française.

A 15 ans et demi, elle rencontre Robert Gauthron, de 19 ans son aîné. Il travaille en Afrique et Tatania l'écoute et rêve d’une autre vie, d'une vie d'aventures.
Malgré l'opposition de ses parents, elle impose son choix et ils se marient quelques semaines plus tard.

Ils partent à Madagascar et Tatiania va vivre 10 ans avec ce 1er mari. Une vie de femme libre, riche, mondaine, mais également de chef d'entreprise. Tatiania passe du rêve à la réalité.
Son mari travaille beaucoup et elle s'ennuie dans une vie bourgeoise mais oisive.
La communauté française de Diego Suarez (Antsiranana) est soudée mais réduite.
Nous sommes dans le cliché de la vie coloniale : des boys et des serviteurs africains pour toutes les tâches du quotidien.

Tatiania dirige sa maison comme une petite entreprise.
Elle est ambitieuse et, après 2 ans, elle convainc son mari de quitter son poste pour se mettre à son compte à Farafangana et elle participe activement à la construction et au développement de l'activité d'import / export vers la France qui fera leur fortune.
Elle joue plusieurs rôles dont celui de commerciale en enrichissant et gérant le réseau de clients et de fournisseurs.
C'est une très belle femme toujours bien apprêtée.
Parfois elle part en mission à Paris où elle organise notamment des soirées mondaines pour conforter les relations commerciales.
Elle fréquente les milieux de la haute couture avec leurs défilés très selects…. La petite fille pauvre a réussi son ascension sociale !

Le couple se sépare lorsque Serge a 4 ans.
Tatiania s'émancipe, travaille, rencontre de nouveaux amis et son second mari.
Impression ou réalité, Serge passe en seconde priorité pour cette jeune mère qui a toute la vie devant elle.
A 13 ans, pour faire de bonnes études, Serge devient interne à Saint Martin de France à Pontoise, d’inspiration oratorienne. Déracinement garanti ! Son anticléricalisme a dû s’y fortifier, même s’il gardait de bons souvenirs de ces années, dans un environnement dur mais sportif.

Troisième traumatisme à 16 ans, son père fait faillite à Madagascar. Il doit lui aussi rentrer en métropole où il vivote et devient dépressif.
 
Le cocktail est réuni pour faire de Serge un écorché vif qui vivra sa vie à 100 km/h en cherchant à dominer son destin. D'ailleurs, plutôt à 220 km/h, comme il avait l'habitude de rouler avec sa 205 GTI, ou encore plus vite avec des hélicoptères ou avions qu'il apprendra à piloter...

A 23 ans il épouse maman à la sortie de ses études. Viendront trois fils pour lesquels il n'avait pas vraiment le mode d'emploi pour exprimer tout son amour. Nicole est analytique, intrépide et optimiste, elle l’encourage, le soutient et participe, parfois dans l’ombre, au lancement de ses projets et sociétés, CARO, ASSIGRAPH, VIF… et FEEDER.
 
Ils quittent Paris et s’installent à proximité de Marseille puis se séparent. Malgré cela, elle restera toujours son expert-comptable et son meilleur conseil de confiance jusqu’à la fin.

Il rencontre Muriel peu après 40 ans et noue une relation très forte. Ils sont complémentaires, "le feu" et "l'eau". Lui a le courage, la volonté et la fougue, elle, l'énergie, la confiance et l'aisance relationnelle qu'elle mettra au service de sa carrière. Ils se marient et ne se quittent plus.
Il faut l'avouer, papa est maniaque et conflictuel ; tout le foyer doit lui être soumis et il est assez invivable à la maison (je crois qu'au boulot aussi ...).

Donc au bout de 13 ans, nouvelle rupture. Suivront quelques autres compagnes intrépides ou masochistes, parfois les deux..., car Serge ne s'apprivoise pas !
Bref, c’est compliqué et le vieil ours finira seul…, à Tahiti puis à Marseille où il décède le 20 décembre.
 
Sur le plan professionnel, c'est un boulimique…, une machine de guerre.
Car son graal, c'est « réussir professionnellement » (peut-être prendre la revanche pour son père ?!), avoir le pouvoir et accumuler de l'argent avec lequel il entretient un rapport de dépendance.
Ses classes préparatoires à Janson de Sailly (où il rencontre maman) à Paris, puis sa formation à HEC (où il rencontre son meilleur ami Jean-Pierre Richard) lui donneront les clefs pour créer, transformer, redresser et vendre des entreprises pendant près de 30 ans.
Car papa est un promoteur, et après une première boîte avec son père et 3 ans en tant que salarié il se lance dans le grand bain de l’entrepreneuriat.
En 1977, il est Directeur Général de CARO
En 1978, il est Président d’ASSIGRAPH
Puis on ne les compte plus... Une multitude de sociétés sur l'informatique ou le Minitel comme pour VIF avec son jeune beau-frère Patrick Le Granché auquel il mettra le pied à l’étrier.
En 1978 il rencontre Louis Aloccio et, après quelques hésitations, en 1983, le duo de choc créée FEEDER en partant de zéro.
Louis, meneur d’homme humain, résistant à toute épreuve, et jouant du commercial comme du relationnel, est probablement la personne qui a su le mieux canaliser son caractère irascible pour en tirer l’excellence et permettre le développement dans la durée de FEEDER et autres sociétés satellites.
Je ne vous raconte pas toute l'histoire en montagnes russes avec un fort développement, une vente puis une faillite et une reprise. Après avoir bien redressé FEEDER, au milieu des années 2000, ils transmettent les rênes à un autre duo de talent.
C'est donc une carrière remarquable couronnée de chutes abyssales et de succès flamboyants grâce à son culot, son intelligence et son talent de négociateur hors pair.
Mais on a senti une petite déception. Il aurait aimé qu'un de ses fils reprenne le flambeau…
 
Serge  est un éternel insatisfait,  cherchant toujours le prochain combat, la prochaine victoire..., pour qu'on l'admire ? ..., peut-être juste pour que sa mère soit fière de lui ?
Peut-être que le seul moment où il a trouvé la paix avec lui-même était sur son catamaran au milieu de l'Atlantique ou du Pacifique, ou en lévitation lors de plongées sous-marines.
Il aimait la chaleur, il aimait la liberté, finalement il avait accumulé beaucoup, sans se rendre compte qu'il avait des rêves simples et accessibles ailleurs.
 
Papa était dur à cerner, il était difficile de communiquer avec lui car tout se négociait.
Avec mes frères, nous avions du mal à partager simplement notre amour familial.
En tout cas, il a toujours été là dans les moments clefs.
On savait qu'il trouverait le conseil atypique ou la phrase juste pour nous relancer et nous aider à dépasser l'obstacle.
Je crois qu'il était fier de nous trois, même s'il ne l'a jamais vraiment exprimé.
 
Il a vécu en stratège, calculant tout plus vite que les autres.
Toujours sous contrôle, ancré dans ses certitudes, et il avait souvent raison.
Il courait après des objectifs inatteignables : être toujours plus puissant et riche.
C'était probablement trop demander à un cerveau humain.
Depuis 10 ans, il perdait la mémoire, puis ces dernières années, la parole et ces derniers mois, la conscience.
Une vie insupportable quand on se souvient de l'homme, du père qu'il fut.
C'est donc avec tristesse mais aussi un certain soulagement qu'il nous a quittés sans souffrir.
 
Voilà Papa, tu as eu une vie de risques, de challenges et de passions avec des petits accidents et des grandes prouesses.
Tu l'as menée, sans compromis ni tabous, comme tu voulais qu'elle soit, en étant toujours un leader libre et charismatique et en ouvrant la voie pour les autres.
Je crois que tu en doutais, papa, mais on t’aimait surtout pour l’homme sensible et essayant maladroitement d’offrir du bonheur à tes proches et amis ! Je t’embrasse !


Mathieu :

On ne se rend pas toujours compte des soucis que nous donnons à nos parents quand nous sommes enfants.
Être père moi-même m'a permis de mieux apprécier ce que mon père a fait pour moi.
Il m'a fait découvrir des expériences et des cultures différentes, comme lorsque nous sommes allés en Israël à travers Jérusalem et les territoires occupés.
Nous sommes allés à Cuba faire de la plongée sous-marine.
Nous avons fait ensemble du parachute, de l'hélicoptère et de l’avion.
L’accès précoce aux ordinateurs – un Apple 2 à l’âge de 8 ans – m’a donné le goût de l’informatique ce qui a indéniablement contribué à ma carrière dans ce domaine.
Mon père était un entrepreneur d’avant-garde dans la micro-informatique. Cette réussite m’a permis de pouvoir étudier en Angleterre sans me soucier des aspects matériels et a ainsi amorcé mon expatriation et ma carrière au Royaume-Uni.
J’ai été tellement triste de voir un homme aussi charismatique et intelligent se dégrader au cours de la dernière année.
Je lui souhaite d'être en paix, où qu'il se trouve.


Thierry :

Je voudrais souligner trois aspects de sa personnalité qui m'ont peut-être le plus marqué.

Son humour
 
Même si cet attribut n'était pas toujours présent et même plus du tout ces dernières années, je retiendrai de papa qu'il m'a beaucoup fait rire.

Ses expressions, ses blagues, ces moments où il nous faisait des tours de magie…
 
J'adorais lorsqu'il était dans cette énergie. Je le trouvais drôle, séduisant. C'est dans ces moments-là que j'étais le plus fier d'être son fils.
 
Papa savait faire rire !
 
Y compris de lui parfois, ce qui étonnera peut-être certains.
 
 
 
Sa capacité à faire grandir certains de ses compagnons de route professionnelle 
De nombreuses personnes m’ont expliqué comment papa les avait stimulées dans leur vie professionnelle. Elles ont connu son soutien sans faille et sa bienveillance. Elles ont aussi connu ses jugements acerbes et parfois ses colères… Une exigence qui les a poussées dans leurs retranchements et, parfois, leur a permis d'aller un peu plus loin, de faire un peu mieux, d'apprendre encore un peu plus…. Certaines d’entre elles reconnaissent en lui une forme de mentor… Très dur, mais qui les a vraiment aidées à grandir.
 
C’était aussi un grand affectif
Il m’a fallu du temps pour le réaliser et j’ai mieux compris ces dernières années ce qu'il devait vivre au fond de lui. Des signes, des commentaires de maman et de Muriel, sa seconde épouse, le discours qu'il a prononcé lors de mon mariage, m'ont donné des indices d'une vraie tendresse et d'un amour profond pour ses proches. Mais ce cœur tendre, probablement vulnérable aussi, il l'avait enfoui profondément sous une armure très lourde. C'est cette armure qui l'empêchait d'exprimer ses sentiments les plus doux et lui imposait une posture de forme, un besoin d'être le plus fort, d'avoir raison, de dominer. Une rigidité extrême qui rendait les relations avec ses proches souvent difficiles. Cette armure l'isolait des autres et je crois qu'il en souffrait intérieurement beaucoup. Muriel m'a rapporté récemment un de ses échanges avec papa. Celui-ci lui disait qu'il aurait bien aimé être gentil, mais qu'il ne savait pas comment faire. Cette candeur me touche énormément et illustre parfaitement le regard que je porte sur cet enfermement dont il n'a pas su se dégager. Cette ouverture qu'il n'a pas su trouver. J'ai envie de lui dire, là où il se trouve désormais : "Ne t'inquiète pas papa, on l'a vu ton amour, on l'a senti ta tendresse…  et nous aussi on t'aime !".

Quelques informations sur ses entreprises les plus emblématiques 
CARO (2ème partie des années 70)
Un des précurseurs en France des prestations de service en micrographie. En s'appuyant sur des centres de traitement installés à Paris, Marseille, Lyon et Bordeaux, CARO permet aux organisations de sauvegarder des documents sur microfiches et ce faisant de réaliser des gains de place conséquents en matière de stockage de leurs archives.

ASSIGRAPH (2ème partie des années 70)
La société est l'un des premiers fabricants français d'équipements de lecture de microfiches.
 
FEEDER (Création en 1984)
Cette société est un des leaders français de la distribution micro-informatique dans les années 80. Parmi les associés de départ se trouvent Jean-Louis Gassée alors président d'Apple France et la Financière Martin Maurel, holding de la famille Maurel également actionnaire de la banque éponyme. En tant que grossiste, FEEDER contribue à diffuser en France, auprès des revendeurs, toute une gamme de logiciels pour la micro-informatique. D'abord spécialisée dans le monde APPLE-Macintosh, la société se diversifie rapidement dans l'univers PC et joue un rôle décisif, dans le développement de MICROSOFT en France. Après avoir revendu FEEDER au groupe  ISE-CEGOS en 1988, Serge et son complice de toujours, Louis Aloccio, reprendront l'ensemble du groupe ISE CEGOS à la barre du tribunal après que celui-ci se soit retrouvé en difficulté lors de la crise du début des années 1990. Serge et Louis resteront actionnaires de FEEDER et de sa société sœur FRAME jusqu'à la fin des années 2000, date à laquelle ils revendront l'entreprise en MBO a deux de leurs salariés historiques, Serge restant actionnaire minoritaire jusqu'aux alentours de 2018.
 
VIF - VALORISATION INFORMATIQUE DE FICHIERS (Création 1981)
Cette société créée avec son beau-frère Patrick Le Granché s'est d'abord illustrée dans la distribution de logiciels Freeware et Shareware dans les mondes Apple et IBM, avant de devenir dans les années 90 un précurseur de la télédistribution de logiciels commerciaux. La société permettait aux particuliers et aux organisations de se connecter via leur Minitel et d'accéder ainsi au téléchargement de toutes sortes d'applications micro-informatique (jeux, utilitaires, etc…) en les payant en minutes de connexion. Les premiers pas du téléchargement de logiciels.
 
ASSURDATA - MCAFEE France (Création 1994)
Alors que VIF s'était lancé dans la distribution du logiciel anti-virus de McAfee au début des années 1990, Patrick crée, toujours avec Serge, la société ASSURDATA qui deviendra l'importateur exclusif du célèbre anti-virus en France. MCAFEE rachètera la société en 1995 et en fera sa filiale française.

JEUDI SPORT (Création 1998)
Alors que le rapprochement entre les deux principaux journaux marseillais Le Méridional et le Provençal avait incité la rédaction des pages sportives de ce dernier à quitter la nouvelle entreprise, Louis Aloccio et Serge décident de soutenir ces journalistes dans la création d'un nouvel hebdomadaire sportif marseillais : Jeudi Sport. Ce journal connaît un essor rapide mais est rapidement mis en difficulté par ses concurrents beaucoup plus puissants qui font pression sur les annonceurs pour qu'ils retirent leurs budgets à ce petit trublion qui vient jouer sur leurs plates-bandes. Face aux pertes qui s'accumulent, Louis et Serge finiront par jeter l'éponge. Le titre continuera quelque mois porté par l'équipe de rédaction avant de devoir s'arrêter définitivement.


Pour conclure, Jean-Pierre Nordman nous écrit une belle synthèse de ces témoignages

Lire les textes de Jean Pierre Richard, des enfants de Serge et de sa première épouse me plonge dans la tristesse et la nostalgie.


 
Serge était un personnage extrême et il y avait encore beaucoup à découvrir.
 
 
Ses expéditions maritimes, je regrette de ne pas les avoir accompagnées : traversées de l'Atlantique à trois reprises, Canal de Panama, navigation vers les îles de la Polynésie, comme ses plongées sous-marines.
 
 
Avec Jean Pierre Richard, nous avons été bercés sur son catamaran autour de l'île de Minorque.

 
Une histoire entrepreneuriale impressionnante avec la découverte et la promotion des Nouvelles Technologies de l'époque.
Une histoire assez proche de la mienne. Nous avons été parfois concurrents, souvent complémentaires.
Serge savait me stupéfier, mais aussi je l'admirais.

Découvreur d'aventures nouvelles, conquêtes des Océans et des îles, solitaire et meneur d’équipes, voilà Serge : un être paradoxal dont le souvenir est impérissable.

Je reste ton ami pour toujours.

Jean-Pierre Nordman

 

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