mercredi 24 février 2021

Un article co-écrit par Serge Michailof : au Mali, la France doit conditionner ses efforts militaires à une réforme de l’État

Dans LE FIGARO du lundi 15 février 2021, rubrique " Champs libres - Débats "

Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali (*) et notre camarade Serge Michailof (**), chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) exposent la nécessité cruciale, pour l'État malien, de se rénover.

* Nicolas Normand, ancien élève de l'ENA a également été ambassadeur de France au Congo-Brazzaville, puis au Sénégal. Il a publié "Le Grand Livre de l'Afrique, Histoire et Société, Culture et Institutions, Politique et Sécurité, Économie et Développement" (Eyrolles 2018

** Serge Michailof, ancien directeur exécutif chargé des opérations de l'Agence Française de développement, est l'auteur d' "Africanistan l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? " (Fayard, 2015) - (1)

    Après huit ans de lutte, au moment où se tient à N’Djamena la conférence des cinq pays du G5 en présence du président Macron, il est souhaitable de faire le point sur notre action au Mali.

    Cette fin d’année 2020 et le début de 2021 ont été particulièrement meurtriers. En une semaine, cinq de nos soldats ont été victimes de mines artisanales. Une centaine de villageois ont été assassinés le 3 janvier au Niger, à la frontière du Mali. Enfin une attaque le 9 janvier par un véhicule suicide a fait six blessés graves parmi nos soldats. Ce triste bilan nous rappelle que la situation dans ce pays n’a cessé de se détériorer depuis 2015 et que l’ennemi maîtrise désormais les techniques de la guérilla, qui ont durement éprouvé l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. 
    Certes, l’opération Éclipse, conduite conjointement du 2 au 20 janvier dans la zone des trois frontières par l’armée française et l’armée malienne, s’est traduite par des succès tactiques.  
    Mais ces succès militaires ne peuvent renverser la situation stratégique globale et permettre de pacifier cette région, en implantant, selon les préceptes chers à Gallieni et Lyautey, une administration et une gendarmerie efficaces dans les régions reconquises par l’armée. En effet, aucune des administrations des trois pays concernés ne peut réoccuper le terrain, dans un contexte où l’insécurité perdure, alors que leurs forces armées mal équipées sont dispersées sur d’immenses étendues. 
    L’impasse et l’incapacité du régime malien à redresser cette situation ont été la cause principale du coup d’État militaire d’août 2020. La disparition inattendue, fin décembre suite au Covid-19, du leader de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé, qui aurait pu constituer une alternative politique sérieuse après la transition, complique encore le tableau. Dans ce contexte chaotique dont la gravité est sous-estimée, il importe de redéfinir la politique de la France, qui nous semble aujourd’hui indécise et le produit de deux erreurs.
    
    Il apparaît clairement que la transformation de Serval - intervention ponctuelle qui a mis en échec en 2013 une tentative de prise de contrôle du Mali par des groupes djihadistes - en l’opération de longue durée sous drapeau français qu’est Barkhane se révèle une erreur. L’avoir fait combattre sans associer étroitement les armées sahéliennes, quasiment comme une force indépendante, apparaît aussi contestable. En tout état de cause, malgré de nombreux succès tactiques, cette force n’a pu empêcher la dégradation sécuritaire, compte tenu de la nature multidimensionnelle du conflit, sociale, religieuse, économique, démographique et du caractère gigantesque de la zone concernée, qui couvre une superficie représentant l’Europe occidentale.
    Barkhane est aujourd’hui politiquement trop visible et génère trop d’hostilité de la part d’une population malienne travaillée par la propagande djihadiste, voire russe. Victime du syndrome du « US, go home ! », elle cristallise les ressentiments. 
En conséquence, nous partageons les conclusions de Michel Roussin et Stephen Smith exposées dans ces colonnes (lire nos éditions du 5 novembre 2020) plaidant pour un fort allégement du dispositif français et sa transformation à terme en une force essentiellement axée sur le renseignement, l’appui aérien et l’appui terrestre ponctuel ; ou bien, comme le recommande le colonel Michel Goya, en créant des unités mixtes associant militaires sahéliens équipés selon les normes de nos propres forces et experts militaires français. 
Malheureusement, aujourd’hui, l’armée malienne, malgré huit ans d’appuis divers, est si désorganisée qu’un trop rapide allègement de Barkhane peut provoquer l’effondrement du château de cartes qu’est l’État malien.

    La deuxième erreur a été de penser qu’il était possible de transformer l’armée malienne en une force crédible par de simples efforts de formation confiés à l’Union européenne. Outre les insuffisances des programmes en question, cette approche a oublié que cette armée souffrait en premier lieu de la corruption, du népotisme, de son inorganisation, et de graves carences du commandement. Or, ces aspects relevant de la souveraineté nationale n’ont jamais été traités. Nous avons malgré cela soutenu trop longtemps avec laxisme un régime certes élu, mais qui, croyant que sa sécurité était assurée par la France, a transformé son armée en une entreprise de prédation. Des généraux maliens se sont enrichis alors que les soldats français mourraient pour le Mali. Comment, par conséquent, sortir de l’inexorable ensablement qui nous menace, tout en évitant une issue honteuse type Saïgon 1975 ?
    Nous n’avons pas le choix : pour éviter le chaos, il nous faut, pour les mois à venir, soutenir politiquement et financièrement le gouvernement de transition issu du coup d’État et entraîner dans ce soutien une communauté internationale rétive. C’est ce qui est actuellement envisagé par la France et c’est indispensable.
Car ce gouvernement est aujourd’hui en péril, menacé par une grave crise financière et par son refus, sans doute justifié, d’associer à l’exercice du pouvoir une classe politique malienne qui cherche surtout des prébendes. Il faut donc, de toute urgence, monter avec le FMI un programme de sauvetage financier de ce gouvernement menacé par des revendications et des grèves irresponsables. Il nous faut toutefois, en même temps, poursuivre un dialogue amical mais sans complaisance avec ce gouvernement de transition sur la stratégie globale qu’il souhaite suivre. Ses espoirs de négociation avec les groupes djihadistes sont compréhensibles. Mais une négociation en telle position de faiblesse avec des extrémistes ne conduira nulle part. 

Le premier objectif de ce gouvernement devrait être de nettoyer les écuries d’Augias, en premier lieu dans l’armée, pour pouvoir à terme négocier en position de force. Les colonels de la junte savent parfaitement ce qu’il faut faire pour cela. L’armée malienne ne manque pas de soldats et d’officiers de valeur. 

Une restructuration en profondeur de l’armée et des services de sécurité s’impose.
Le gouvernement de transition a pour cela encore douze mois. Ses liens très étroits avec l’armée constituent une opportunité. Si, au contraire, il apparaît que les colonels souhaitent simplement bénéficier des prébendes qui ont enrichi leurs prédécesseurs, l’armée française devra, dès que possible, se retirer du Mali.
    L’aide publique au développement devra se recentrer sur le renforcement des fonctions régaliennes de l’État malien (justice du quotidien, police, gendarmerie, administration territoriale) - domaines qu’elle tend à éviter -, sur des opérations à haute intensité de main-d’œuvre, et sur la reconstruction du système éducatif.
À l’issue de la période de transition, la France devra réduire progressivement sa présence militaire. Seuls une armée malienne et un appareil d’État malien reconstruits pourront assurer la sécurité du pays.

(1) Note de l'éditeur : je recommande vivement la lecture d'Africanistan, un livre passionnant.

 

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