Dans LE FIGARO du lundi 15 février 2021, rubrique " Champs libres - Débats ",
Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali (*) et notre camarade Serge Michailof (**), chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) exposent la nécessité cruciale, pour l'État malien, de se rénover.
* Nicolas Normand, ancien élève de l'ENA a également été ambassadeur de France au Congo-Brazzaville, puis au Sénégal. Il a publié "Le Grand Livre de l'Afrique, Histoire et Société, Culture et Institutions, Politique et Sécurité, Économie et Développement" (Eyrolles 2018
** Serge Michailof, ancien directeur exécutif chargé des opérations de l'Agence Française de développement, est l'auteur d' "Africanistan l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? " (Fayard, 2015) - (1)
Après huit ans de lutte, au moment où se tient à N’Djamena la conférence des cinq pays du G5 en présence du président Macron, il est souhaitable de faire le point sur notre action au Mali.
La deuxième erreur a été de penser qu’il était possible de transformer l’armée malienne en une force crédible par de simples efforts de formation confiés à l’Union européenne. Outre les insuffisances des programmes en question, cette approche a oublié que cette armée souffrait en premier lieu de la corruption, du népotisme, de son inorganisation, et de graves carences du commandement. Or, ces aspects relevant de la souveraineté nationale n’ont jamais été traités. Nous avons malgré cela soutenu trop longtemps avec laxisme un régime certes élu, mais qui, croyant que sa sécurité était assurée par la France, a transformé son armée en une entreprise de prédation. Des généraux maliens se sont enrichis alors que les soldats français mourraient pour le Mali. Comment, par conséquent, sortir de l’inexorable ensablement qui nous menace, tout en évitant une issue honteuse type Saïgon 1975 ?
Nous n’avons pas le choix : pour éviter le chaos, il nous faut, pour les mois à venir, soutenir politiquement et financièrement le gouvernement de transition issu du coup d’État et entraîner dans ce soutien une communauté internationale rétive. C’est ce qui est actuellement envisagé par la France et c’est indispensable.
Car ce gouvernement est aujourd’hui en péril, menacé par une grave crise financière et par son refus, sans doute justifié, d’associer à l’exercice du pouvoir une classe politique malienne qui cherche surtout des prébendes. Il faut donc, de toute urgence, monter avec le FMI un programme de sauvetage financier de ce gouvernement menacé par des revendications et des grèves irresponsables. Il nous faut toutefois, en même temps, poursuivre un dialogue amical mais sans complaisance avec ce gouvernement de transition sur la stratégie globale qu’il souhaite suivre. Ses espoirs de négociation avec les groupes djihadistes sont compréhensibles. Mais une négociation en telle position de faiblesse avec des extrémistes ne conduira nulle part.
Le premier objectif de ce gouvernement devrait être de nettoyer les écuries d’Augias, en premier lieu dans l’armée, pour pouvoir à terme négocier en position de force. Les colonels de la junte savent parfaitement ce qu’il faut faire pour cela. L’armée malienne ne manque pas de soldats et d’officiers de valeur.
Une restructuration en profondeur de l’armée et des services de sécurité s’impose.
Le gouvernement de transition a pour cela encore douze mois. Ses liens très étroits avec l’armée constituent une opportunité. Si, au contraire, il apparaît que les colonels souhaitent simplement bénéficier des prébendes qui ont enrichi leurs prédécesseurs, l’armée française devra, dès que possible, se retirer du Mali.
L’aide publique au développement devra se recentrer sur le renforcement des fonctions régaliennes de l’État malien (justice du quotidien, police, gendarmerie, administration territoriale) - domaines qu’elle tend à éviter -, sur des opérations à haute intensité de main-d’œuvre, et sur la reconstruction du système éducatif.
À l’issue de la période de transition, la France devra réduire progressivement sa présence militaire. Seuls une armée malienne et un appareil d’État malien reconstruits pourront assurer la sécurité du pays.
(1) Note de l'éditeur : je recommande vivement la lecture d'Africanistan, un livre passionnant.
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